Rabindranath Tagore
Philosophe et écrivain indien

Prix Nobel de Littérature en 1913, il était issu d'une famille de la grande bourgeoisie indienne mais d'humeur réformatrice. Débarrassé des contingences matérielles, il s'est efforcé toute sa vie de proposer une alternative au conservatisme et à l'assimilationnisme. Au début du 20e siècle, l’intellectuel quadragénaire se met en tête de bâtir une école à Santiniketan, au nord de Calcutta, une école qui ne ressemblerait en rien à celle dans laquelle, dans la douleur et l’insatisfaction, il vécut sa scolarité. Trois citations illustrent sa critique de l’enseignement :
« Les maîtres ne se souciaient pas de faire du travail une source de joie »
« un enseignant qui n’a plus de rapport vivant avec ses connaissances et qui se contente de répéter
ses leçons à ses élèves, celui-là ne peut que charger leur esprit : il ne peut pas l’animer»
« notre société n’est pas une société cultivée, mais une société de candidats pourvus de
diplômes »
Le Tagore pédagogue plaide pour la mixité, contre les châtiments corporels, pour un enseignement dispensé dans la langue vernaculaire et dans lequel les arts et le rapport direct de l’enfant avec la nature qui l’entoure tiennent une place centrale. Puisque nous pensons et éprouvons aussi avec nos corps, il veut
que les élèves soient le plus libres possibles, libres de bouger, danser, expérimenter, de se déplacer ; car l’école, dit-il, nous « oblige à penser assis », ce qui fait que seul notre visage, malheureusement, soit encore capable d’expression. En ce sens, il rejoint les conceptions défendues par nombre de pédagogues libertaires de sa génération comme Paul Robin, Sébastien Faure ou Francisco Ferrer. Il y ajoute une dimension mystique et un attachement profond à la culture indienne où « l’ancestral système d’éducation populaire indien ne faisait qu’un avec la vie des gens ».
Pour le prix nobel Amartya Sen qui fut son élève, Tagore considérait qu’il fallait « se connaître soi-même pour être un être humain sans nationalité ». Car l’érudit idéaliste et d’esprit libertaire était à la fois profondément indien et profondément cosmopolite. Défendre la culture indienne contre l’impérialisme culturel occidental était sa contribution à l’enrichissement de la culture du monde. Tagore était convaincu que l'on ne changerait pas cette situation en faisant appel aux sentiments religieux du propriétaire, de l'agent de police ou du prêteur sur gages. Dans la société, ce n'est pas la charité qui fait loi mais la nécessité. Il faut donc avant tout que les êtres perçoivent le lien qui fait d'eux une société. S'il est une voie qui peut conduire à cette prise de conscience, c'est l'éducation. Tagore comprit, à partir de sa propre expérience des attitudes des paysans et de leur comportement social, que la force ne pourrait être engendrée que dans une société villageoise autonome, prenant elle-même les décisions la concernant et déterminant son propre rythme de croissance. Il n'a cessé de revenir dans différents contextes sur ce thème de l'autosuffisance locale, des initiatives locales, de l'encadrement et du gouvernement locaux centrés sur
la coopération.
Selon ses propres termes: «La pauvreté naît de la désunion, et la richesse de la coopération. Quel que soit
l'angle sous lequel on se place, telle est la vérité fondamentale de la civilisation humaine. »
Évoquant la place de la religion dans l'éducation, Rabindranath déclarait: «La nature et l'esprit humain,
indissolublement unis, seront notre temple et les bonnes actions désintéressées, notre culte» (Dharma
Sikhsha, 1912).
« Les livres se sont mis entre notre esprit et la vie. Ils nous privent de la faculté naturelle d'apprendre
directement de la nature et de la vie et ont fait naître en nous l'habitude de tout connaître à travers les
livres. Nous appréhendons le monde non avec notre esprit mais avec nos livres. Ils nous déshumanisent et
nous rendent asociaux. Laissons les élèves acquérir savoir et matériaux dans les différentes régions du
pays, directement et grâce à leurs propres efforts. »
À bien des égards, les idées de Tagore en matière d'éducation des enfants rappellent celles de Rousseau,
de Fröbel, de Dewey, de Montessori, et d'autres encore
C'est de son école de village, orientée vers la vie pratique que Gandhi semble s'être inspiré en matière
d'éducation de base.
Dans la pensée de Tagore, la liberté et la créativité sont liées, l'une conditionnant l'autre. Plus l'être
humain va au-delà des limites de sa nature animale, plus il se rapproche de l'humanisme, de la liberté et
de l'unité, et plus il est ainsi capable de développer sa créativité. Seule cette quête donne un sens à la vie
et l'éducation fait partie de cette quête.
Tagore voulait que ses élèves acquièrent un esprit scientifique; il voulait que les enseignants encouragent
le doute constructif, l'amour de l'aventure intellectuelle, le courage et le désir ardent de conquérir le
monde par l'esprit d'entreprise et par la hardiesse de la pensée et de l'action. Telles étaient les vertus qui
avaient permis à l'Occident d'aller rapidement de l'avant. La discipline devait venir de l'intérieur, de la
poursuite d'ambitions nobles et élevées dans la vie. Elle suivrait tout naturellement lorsque les impulsions
et désirs mineurs seraient volontairement réfrénés au profit de nobles aspirations créatrices. Il voulait que
la réflexion de ses élèves ait des dimensions planétaires, de manière à ce qu'ils deviennent des hommes et
des femmes universels comme lui-même, et surmontent les sentiments d'étroit nationalisme afin que le
monde puisse vivre et se développer dans la paix et l'amitié.
Là où l'esprit est sans crainte et où la tête est haut portée,
Là où la connaissance est libre,
Là où le monde n'a pas été morcelé entre d'étroites parois mitoyennes,
Là où les mots émanent des profondeurs de la sincérité,
Là où l'effort infatigué tend les bras vers la perfection;
Là où le clair courant de la raison ne s'est pas mortellement égaré dans l'aride et morne
désert de la coutume,
Là où l'esprit guidé par toi s'avance dans l'élargissement continu de la pensée et de
l'action -
Dans ce paradis de liberté,
Mon père, permets que ma patrie s'éveille.
« Comme tu es heureux , enfant, toi qui, assis dans la poussière, t'amuses toute la matinée avec un bout de
branche cassée.
Je souris de te voir jouer avec ce brin de bois.
Moi, je suis occupé à faire des comptes, j'additionne des chiffres des heures durant.
Peut-être me regardes-tu du coin de l'oeil en te disant: " Quelle bêtise de gaspiller sa matinée à ce jeu là !
".
Enfant, les bâtons et les pâtés de terre ne m'absorbent plus: j'ai perdu ton art !
Je recherche des amusements coûteux et j'entasse de l'or et de l'argent.
Tu joues à coeur joie avec tout ce que tu trouves.
Moi, j'emploie mes forces et mon temps à la recherche de choses que je ne pourrai jamais obtenir.
Dans mon frêle esquif je m'efforce de traverser la mer des désirs, et j'oublie que mon travail lui aussi n'est
qu'un jeu ! »
« La vie n’est pas nettement définie. Elle est faite de contradictions. Nous autres hommes, poussés par nos
idées, nous cherchons à lui donner une forme particulière, à la fondre dans un moule, le moule défini de la
réussite. »
« Chaque enfant qui vient au monde nous apprend que Dieu n'a pas désespéré de l'homme. »
« Prendre soin de l'enfant d'une autre peut créer des liens émotionnels très forts, car il ne peut exister de
sentiment de possession. La seule revendication possible est celle de l'amour. »